La maison Poulaga *
Acte 1
-« Dis donc Chouchou, t’as fait un casse ou quoi ? »
-« Pas encore mais j’y songe, j’y songe ! »
-« Non, mais sans blague, elle te veut quoi la Gendarmerie ? »
-« Pourquoi tu m’demandes ça ? »
-« T’as pas regardé le courrier ?! »
-« Non, enfin j’ai vu qu’il y avait le matériel électoral, de la pub ! »
-« Pas seulement, il y a une lettre aussi ! »
-« Ouvre-là ! »
Subitement un grand silence se fit !
Intriguée Michèle Brisson se porta aux côtés de son mari. Avachi dans un fauteuil, il semblait plongé dans un abîme de perplexité.
-« Qu’est-ce qu’il y a, c’est grave ? »
-« Non, enfin, je sais pas. Lis ! »
Michèle attrapa la lettre et parcouru le texte des yeux, incrédule.
Vous êtes priés de bien vouloir vous présenter à la gendarmerie pour affaire vous concernant.
Quelle affaire pouvait bien la concerner ? A sa connaissance elle n’avait pas commis d’infraction sur la route, n’avait eu maille à partir avec qui que ce soit ! Elle n’avait même pas une phrase de travers avec un parent d’élève ! Non, elle ne voyait pas !
Attrapant le téléphone elle composa le numéro de la gendarmerie du village et tomba bien évidemment sur le répondeur automatique : « Ici gendarmerie de St Eutrope, veuillez ne pas quitter, nous allons prendre votre appel ! »
Elle allait raccrocher après la troisième annonce quand, miracle, une voix féminine se fit entendre au bout du fil.
Michèle entrepris d’exposer ce qui motivait son appel quand la gendarmette l’arrêta net. En effet, elle était attendue à la gendarmerie et le plus rapidement possible !
Un grand froid pénétra Michèle qui tenta malgré tout d’en savoir un peu plus.
D’un ton sec, son interlocutrice mit fin à la conversation, lui précisant simplement qu’elle n’avait pas à répondre à ce type de question par téléphone. Michèle se devait juste de répondre à la convocation dans les plus brefs délais.
La soirée s’annonçait difficile, Michèle avait beau tenter de mettre en pratique les conseils de vie glanés ici ou là, vivre le moment présent sans se projeter à demain semblait chose impossible !
Pourtant le hasard faisant bien les choses, une visite surprise leur permit de faire de cette soirée un moment de détente. Michèle se coucha guillerette, peut-être un peu pompette, rassurée par les propos de leur visiteur. Ancien greffier en chef, Pierre Vasseur pouvait se féliciter d’avoir efficacement réussi à dédramatiser la situation.
Néanmoins, le lendemain matin, dès l’ouverture des bureaux, Michèle et Paul Brisson se présentaient devant le portail sécurisé de la gendarmerie. Après avoir expliqué les motifs de leur présence dans l’interphone, un gendarme déverrouilla le portail puis les pria de patienter un instant dans le hall. Une gendarmette, à coup sûr celle que Michèle avait eu la veille au téléphone, déboula à son tour dans la pièce. Un bonjour de convention puis une invitation à la suivre et elle était déjà repartie. Michèle et Paul venaient de lui emboîter le pas quand la femme se retourna et signifia à Paul que l’entretien ne concernait que sa femme !
Médusé, il les regarda s’éloigner ne sachant quelle contenance adopter.
Il regagna le hall, pas vraiment folichon. Un banc rustique et inconfortable, aucune plante, juste un affichage austère composé d’appels à témoins pour des disparitions, un « comptoir » et sur le mur derrière lui, une glace. Machinalement, Paul s’en approcha et à l’instant même où son regard se portait sur sa personne, une idée loufoque, mais l’était-elle ?, s’imposa à lui.
Et s’il s’agissait d’une glace sans tain ?
Après tout, vu l’accueil, on pouvait s’attendre à tout !
Une porte claquée à la volée le fit se retourner, le gendarme qui les avait introduits dans la gendarmerie, le dévisageait interloqué une tasse de café à la main.
-« Vous désirez ? »
-« Moi, rien ! j’attends ma femme »
-« Ah ! »
La conversation s’arrêta sur cet échange décoiffant.
Une attente interminable commença puis Paul vit soudainement reparaître la gendarmette, suivie de Michèle. Si sa première pensée fut de se dire que la tenue vestimentaire féminine dans la maréchaussée n’était pas seyante, entendre l’adjudant intimer à sa femme l’ordre de se tenir à disposition de la justice le ramena à la réalité.
Sans dire un mot, Michèle quitta les lieux, gagna leur voiture et toujours mutique, se laissa reconduire jusqu’à leur domicile avant d’entamer le récit des moments incroyables qu’elle venait de vivre.
Acte 2
Trois jours auparavant, Michèle était partie faire une balade avec leur chien Socrate, bien décidée à rapporter de quoi agrémenter l’omelette aux asperges qu’elle projetait de faire le soir. En début de promenade, des aboiements l’avaient momentanément détournée de sa cueillette. Un quadrupède s’époumonait près d’un taillis. S’étant assurée de loin qu’il n’était pas attaché, elle avait repris sa promenade les yeux au raz du sol pour débusquer les asperges convoitées. Désireuse d’éviter un passage à gué, elle avait fini par se retrouver non loin du taillis où le même chien aboyait toujours, sans relâche. Bien que libre de ses mouvements, il ne décollait pas de l’abri des arbustes. A peine tentait-il quelques petites avancées dans sa direction avant de vite faire machine arrière. Intriguée, elle avait progressé légèrement dans sa direction accompagnée de Socrate qui s’était mis à aboyer à son tour. Comme par enchantement le chien avait quitté le bosquet pour venir retrouver son compère. Il s’agissait d’une jeune chienne, agréable accident de carrefour, à mi chemin entre le dalmatien et le labrador. Rassurée sur son sort, Michèle avait repris la route mais avait bien vite constaté, que partie en compagnie d’un chien elle revenait avec deux ! La bête, assoiffée, ne loupait pas une flaque mais trottinait ensuite pour revenir coller aux basques de Socrate. C’est dans cet équipage qu’elle avait regagné son quartier sous l’œil réprobateur de monsieur René, un voisin irascible, hostile à la gent canine.
Elle lui avait expliqué sa découverte et s’était empressée d’ajouter qu’elle comptait, après l’avoir laissé se restaurer, confier la chienne au vétérinaire. La bête ayant investi le cabinet vétérinaire sans crainte, Michèle aurait pariée qu’elle n’était ni pucée ni tatouée ce qui allait sans doute compliquer les recherches mais ce n’était plus son problème, du moins le croyait-elle ! Elle avait relaté les circonstances qui avaient présidé à sa « trouvaille » et était rentrée chez elle, tranquille.
Le lendemain, un grand-père qui promenait son chien avait vu celui-ci échapper à sa vigilance. Lancer à la poursuite du fugueur, il l’avait retrouvé grattant furieusement dans des buissons. Une masse sombre affleurait, un sac maculé d’où s’échappait tout un fatras d’objets dont un portefeuille. Le vieux monsieur avait foncé chez lui pour alerter la gendarmerie qui avait à son tour fait diligence. Le sac appartenait à un jeune homme dont la disparition avait été signalée depuis quelques jours. Les gendarmes avaient alors sécurisé le coin puis mené leurs investigations dans le voisinage présentant à chacun une photo de l’inconnu où il figurait en compagnie d’un chien.
C’est ainsi qu’ils étaient remontés jusqu’à Michèle, monsieur René ayant fait partie du contingent de témoins potentiels !
A la gendarmerie, en découvrant les documents qu’on lui présentait, Michèle réalisa et reconnut qu’elle avait déjà vu le disparu faisant la manche devant le supermarché. Elle l’avait repéré en récupérant un caddy et son air débranché l’avait touchée. Ils avaient échangé quelques mots et n’ayant pas d’espèces sur elle, elle lui avait acheté puis remis de quoi manger !
Elle ne s’attendait pas à se faire insulter comme ce fut le cas lorsque le jeune homme compris son intention. Un attroupement s’était formé chacun y allant de ses commentaires et critiques.
Acte 3
-« Bon, tu l’avais déjà vu, il t’avait insulté, il n’y a pas pour autant de quoi t’inculper ! »
-« Peut-être mais je suis leur seule piste. Et qui a trouvé son chien ? »
-« Tu ne savais pas que c’était le sien !? »
-« Et ça prouve quoi pour eux, hein ? Rien ! Ils ne sont pas obligés de me croire, d’ailleurs ils ne me croient pas ! »
Accablés, Michèle et Paul les yeux dans le vague, se taisaient quand le téléphone les fit sursauter. Pierre Vasseur, venait aux nouvelles !
Michèle reprit pour lui le récit de l’entretien, concluant d’un ton laconique qu’elle n’imaginait pas se fourrer dans un tel guêpier en reconnaissant devant la gendarmette avoir déjà vu le disparu ?!
Pierre commença par lui promette de faire jouer ses relations au moins pour tenter d’en savoir un peu plus sur l’affaire puis lui recommandant de ne rien changer à ses habitudes, en riant, il lui conseilla d’éviter dorénavant de jouer les bons samaritains.
Un peu rassérénée, Michèle tenta de se persuader qu’elle n’aurait sans doute plus de nouvelles de cette affaire. Erreur ! Un véhicule de la gendarmerie s’arrêta devant chez eux, deux jours plus tard. Priée, pour les besoins de l’enquête, de leur remettre ce qu’elle portait aux pieds le jour où elle avait trouvé le chien, elle se déchaussa sur le champ devant le gendarme un peu estomaqué. Il commença par hésiter, fixant ses pieds nus, hésitation qui la plongea soudainement dans une colère noire. Michèle pivota sur place et attrapant au vol un cabas, rageuse, elle le remplit de toutes ses chaussures. Elle lui remit ensuite le sac de force, l’assurant qu’il y avait là matière à vérifier qu’elle ne s’était jamais approchée du bouquet d’arbres où avait été retrouvé le sac !
Ayant récupéré une paire de tennis du sac abandonné par le gendarme, Michèle se précipita à sa suite et sauta dans sa voiture. Arrivée 5 minutes plus tard à la Gendarmerie on commença par la faire attendre puis sans même la recevoir l’adjudant qui l’avait entendue la première fois se refusa à lui dire où en était l’enquête.
Complètement estomaquée, Michèle réintégra sa voiture mais au lieu de regagner son domicile, elle se décida à passer à l’action. Après tout ne bénéficiaient-ils pas d’une assistance juridique par leur assurance ? Une bonne heure plus tard, elle quittait l’agence, un rendez-vous en poche avec un conseiller juridique et l’assurance d’être épaulée si nécessaire par un avocat.
Acte 4
Une semaine venait de s’écouler sans que les Brisson n’apprennent de la gendarmerie quoi que ce soit de plus sur l’affaire. Ils savaient juste par la rumeur que toutes les personnes du voisinage avaient été réentendues et que suite à des appels à témoins de « braves » gens étaient venus spontanément relater l’algarade du Supermarché. Mais le disparu l’était toujours !
De plus en plus angoissée, Michèle tentait toutefois de suivre les conseils de Pierre Vasseur et de ne rien changer à ses habitudes. C’est ainsi qu’elle se retrouva à la sortie du travail entrain de se garer sur le parking d’un des nombreux supermarchés de la région. Elle s’acheminait vers l’entrée quand elle crut défaillir. Avachi près d’une des poubelles qui jouxtent l’entrée du magasin, « le disparu » ! Elle faillit lui fondre dessus mais résistant à son impulsion, elle attrapa son téléphone portable, mitrailla le gars de loin avant de faire une petite vidéo. Elle regagna ensuite l’abri de son véhicule pour appeler la gendarmerie.
Elle patienta un certain temps avant que l’on daigne lui répondre. Déclinant son identité, elle raconta sa découverte demandant à ce qu’un véhicule soit dépêché rapidement sur les lieux.
A l’autre bout du fil, c’était la valse des interlocuteurs pour aboutir à une fin de non recevoir ; tous les véhicules avaient été réquisitionnés pour un accident sur la rocade !
Michèle, incrédule, se ressaisit rapidement. Elle assura son interlocuteur que si un véhicule ne venait pas rapidement sur les lieux elle se faisait fort de « balancer » sur tous les réseaux sociaux la vidéo qu’elle venait de faire assortie d’un commentaire reprenant toute l’histoire.
Pendant un certain temps, seul le silence lui répondit avant d’entendre un « très bien » laconique.
Elle retourna à sa voiture et manœuvra pour se garer de manière à surveiller l’entrée de la grande surface sans être vue. Elle commençait à douter de voir arriver la maréchaussée quand elle repéra leur voiture en approche. Leur laissant à peine le temps de réagir elle gicla de sa voiture et se porta à leur rencontre avant de les guider en petites foulées vers le type qui toujours avachi semblait ne rien avoir deviné de ce qui se tramait.
Epilogue
Elle pouvait enfin se détendre, bientôt toute cette histoire ne serait plus qu’un mauvais souvenir. Restait juste à savoir si elle saurait en tirer les enseignements nécessaires et ne plus se fourrer dans des guêpiers pareils en voulant jouer les mères Térésa !
Do
* Poulaga : dérivé argotique de poulet au sens familier de policier