Pour nous qui allons environ une dizaine de fois au cinéma par an, parfois une quinzaine, les années fastes, l’année commence bien avec deux films en une semaine : « Au bout des doigts », de Ludovic Bernard, avec Lambert Wilson, Kristin Scott Thomas et Jules Benchetrit (fils de Marie Trintignant, et donc petit-fils de Jean Louis Trintignant), et « Pupille », de Jeanne Herry, avec Elodie Bouchez, Gilles Lellouche, Sandrine Kimberlain et Olivia Côte.
Si les critiques de « Pupille » sont presque unanimement élogieuses, celles du film « Au bout des doigts » sont plus nuancés, la presse ayant toujours du mal à vanter les mérites d’un film (ou d’un livre) « feelgood » (entendez par là, si vous n’êtes pas au courant, un film qui fait du bien) ; vous avez sûrement remarqué que les films noirs assortis de fins tragiques et désespérantes ont toujours plus de succès que les comédies, comme si le bonheur était inaccessible dans la vraie vie, et donc, à bannir sur les écrans.
"Peu crédible" est le reproche majeur retenu contre le film « Au bout des doigt ». Personnellement, je ne vois pas en quoi car, même si les génies de la musique ne courent pas les rues, on sait qu’ils existent et on ne voit pas pourquoi ils ne sommeilleraient pas aussi dans les recoins des cités banlieusardes. Bref, tout est réuni dans ce film pour nous séduire : d’excellents acteurs, une histoire qui tient la route et de la belle musique (celle que j’aime) pour nous enchanter les oreilles et l’âme. Alors, certes, on pressent rapidement la fin, et on ne se trompe pas ; et alors ? Y’a pas de mal à se faire du bien, non ?
« Pupille » est un grand moment d’émotion ; là aussi, on sait que cela se
terminera plutôt bien pour le bébé "Théo", mais le parcours de ce petit bonhomme rejeté à la naissance secoue pas mal. Du nourrisson aux acteurs confirmés, tout le monde est parfait. Gilles Lellouche est bouleversant de justesse dans un rôle aux antipodes de ceux auxquels il nous a habitués ; en effet, qui l’aurait imaginé dans ce rôle d’assistant maternel pétri de tendresse ? Pas moi, en tout cas ! Ce docu-fiction nous permet de découvrir tous les dessous d’une adoption et explore sans jugement les engrenages psychologiques qui amènent chacun à choisir et à décider de son chemin de vie. Une chose est sûre : si l’on ne parle jamais d’elle, dans chaque discours adressé au nourrisson par les divers antagonistes, Françoise Dolto est omniprésente, elle qui fut la première à affirmer que le « bébé est une personne ». Ce film en est la parfaite illustration : inutile de parler « bébé » ! L’enfant, dès sa naissance (et même avant !), capte parfaitement l’énergie des mots, faculté à double tranchant qui peut le sauver, mais aussi le détruire ! Je ne sais pas si tout le monde aujourd’hui en est persuadé, mais ce n’est sans doute pas inutile de le rappeler et de mettre en évidence le pouvoir des mots.
Deux mois, c’est le temps nécessaire à toute une équipe, de l’assistant maternel, aux assistants sociaux, pour décider du devenir d’un enfant, et trouver les meilleurs parents pour lui. « Pupille » nous permet de saisir l’importance cruciale de chaque instant de ces deux « petits » mois avec justesse et sensibilité.
Alors, votre prochain film ? « Au bout des doigts » ? « Pupille ? »… Ne choisissez pas, allez voir les deux !
Frédérique
Bien qu’ayant tendance, surtout depuis « La la land » !, à nous méfier des films américains bénéficiant d’un copieux battage publicitaire, nous sommes allées voir « Wonder », tout d’abord, parce que le thème de la différence nous est cher, et ensuite parce que nous n’avons jamais été déçues par Julia Roberts.
Après avoir bénéficié d’un enseignement à domicile avec sa maman, August (Auggie), atteint du syndrome de Treacher Collins, une maladie génétique assez rare provoquant de graves déformations faciales, entre au collège et va plus que jamais devoir supporter le regard des autres, les réflexions méchantes ou simplement maladroites, pour tenter de se frayer un chemin difficile et douloureux vers l’amitié et la complicité de ses pairs.
Comme annoncé, on éprouve beaucoup d’émotion devant ce petit bonhomme obligé d’assumer sa difformité faciale sous le regard impitoyable des autres enfants (et adultes !), car le monde de l’enfance n’est pas forcément celui de l’innocence ; la cruauté n’en est pas exempte, même si elle revêt parfois un caractère involontaire.
Le harcèlement scolaire, la douleur des parents face à la nécessité de ne pas surprotéger un enfant différent pour l’aider à construire son autonomie, la place difficile des autres enfants dans la fratrie, involontairement sacrifiés, le rôle de l’école en matière d’éducation civique, l’apprentissage du respect et de la compassion, tous ces thèmes sont traités avec justesse et réalisme, ponctués de phrases-clé (notées au passage par Domi dans le noir de la salle !) telles que « Vos actes et pensées sont vos monuments », ou « Soyons bons envers autrui car chacun mène un dur combat ».
Voilà, nous, nous avons vraiment beaucoup aimé Wonder. Il nous est présenté comme un film « feelgood », selon l’expression aujourd’hui consacrée. Permet-il de se sentir bien ? Peut-être… comme après une bonne claque ! ( je dois dire que je ne comprends pas trop "faites le plein de bonheur", mais bon...) En tous les cas, il n’est pas dénué d’espoir et se termine sur une note réconfortante. Mais chacun sait que si Auggie a gagné une bataille, pour lui, la guerre n’est pas terminée, comme pour toutes les victimes de singularités physiques ou mentales qui doivent chaque jour mener un dur combat contre l’indifférence, la bêtise ou la méchanceté humaine.
Alors ignorez les critiques disant que ce film dégouline de bons sentiments, allez-y, c’est tout !
Frédérique
LUMIÈRE ! l’aventure commence
(film documentaire français de Thierry Frémaux, 2017)
C’est un petit bijou qu’il ne faut pas rater !
Un montage de 108 films restaurés (de 50 secondes chacun, soit la durée d’une bobine) qui nous rendent notre âme d’enfant.
Dès le 28 décembre 1895 à Lyon, les frères Auguste et Louis Lumière inventent le cinématographe. De 1898 à 1905 les Lumière et leurs opérateurs tournent à travers le monde 15 000 films, 1422 sont référencés ! un témoignage émouvant, érudit, essentiel et merveilleux.
On est frappé par la perfection des cadrages, l’attention portée à chaque détail, la composition du plan. Tout est là déjà.
La « réalisation » et le commentaire sont assurés par Thierry Frémaux, grand amoureux du cinéma, lyonnais lui-même ; délégué général du festival de Cannes et directeur de l’Institut Lumière de Lyon. Le commentaire est accompagné de la musique de Camille Saint-Saëns, un contemporain des Lumière.
Mi
Un film de Ludovic Boukherma, Zoran Boukherma, Marielle Gautier et Hugo P.Thomas
Nous sommes allées hier voir le film Willy 1er, après avoir lu à son sujet un article dithyrambique et, si nous ne regrettons pas ce déplacement, nous avons tout de même réalisé à cette occasion le pouvoir de manipulation des médias.
Ce film est présenté comme l’histoire d’une renaissance, celle de Daniel, un paumé de la vie, sacrifié par la société pour cause d’illettrisme et de naïveté. Un pauvre type trop gentil, un peu benêt, exploité durant des années par des proches peu scrupuleux, et qui, un beau jour, réalise qu’on l’a trop longtemps pris pour un c… et décide d’en finir avec tout ça. Il se rebelle, apprend à lire et prend son destin en main. Cerise sur le gâteau, ce quinquagénaire est repéré par un groupe de jeunes réalisateurs et devient acteur ; d’abord dans deux court-métrages, puis dans ce premier long-métrage censé raconter son histoire.
Nous voilà donc dans le petit cinéma d’Elne, prêts à assister à cette transformation miraculeuse (après tout, Noël approche) et découvrons l’histoire de Willy, bien différente de celle de Daniel Vannet, son interprète. Nous sommes venus à cinq et il n’y a que nous dans le cinéma, à tel point que nous ne savons pas trop où nous asseoir ! Le social n’attire pas beaucoup en ces périodes de fête ; le reste du temps non plus, d’ailleurs. Nous sommes là pour découvrir une histoire vraie où le personnage principal joue son propre rôle.
Mais pas du tout, même si Willy et Daniel ont des points communs. La cinquantaine, Willy, sous curatelle juridique, et son frère jumeau, Michel, vivent encore chez leurs parents, dans la France profonde, normande et humide. A la mort de son frère (je ne vous dirai pas comment il disparaît, au cas où vous voudriez y aller), complètement déboussolé, Willy envoie tout balader et décide d’avoir son appartement, un scooter et des copains. C’est là le seul vrai point commun entre Daniel et Willy.
Tout au long du film, nous nous sommes sentis sur le fil du rasoir, à la fois captivés et bouleversés par le récit de ce combat, mais aussi mal à l’aise, révoltés, tristes et inquiets jusqu’à la nausée pour cet homme fragile, démuni, livré à la merci de la bêtise et de la méchanceté humaine. Dur dur d’être différent ! Au final, l’émotion est là, et bien là, ponctuée par un sentiment d’amertume et de doute : Willy est-il vraiment tiré d’affaire ?
Un regret aussi : il est dommage de ne pas avoir exploité l’histoire de Daniel Vannet pour développer le sujet de l’analphabétisme, problème récurent en France, en dépit des nombreuses réformes scolaires (ou à cause ????). Un sujet trop peu illustré, contrairement à celui du handicap.
Nous sommes ressortis tous les cinq plutôt déprimés. « Noir c’est noir, il n’y a plus d’espoir ! ». C’est sans doute pour cette raison que certaines critiques me laissent pantoise : « 20 minutes » : « une tragicomédie sur fond de misère psychologique et sociale, mais traitée avec une verve humoristique et un optimiste revigorant ». Studio ciné Live : « Il (Daniel Vannet) impose une présence aussi douce que sauvage et procure des séquences comiques indéniables. ». L’express : « L'ensemble reste assez singulier et parfois très drôle pour qu'on s'y intéresse - un peu. ». L’Humanité : « La misère affective et morale est-elle vraiment un bon sujet de rigolade ?... Humoristique, optimisme, rigolade, drôle… J’avoue que ça me perturbe ; je ne dois pas avoir le sens de l’humour. Mais dans ce cas, nous étions cinq.
Le Parisien est assez lapidaire et juge le film déprimant. C’est plutôt vrai, mais, Willy 1er mérite bien ses récompenses et c’est malgré tout un beau film. A voir, si vous avez le moral !
Fredo
MOI, DANIEL BLAKE
(I Daniel Blake*)
film britannique de Ken LOACH, 2016
* Palme d’or Cannes 2016